-Allez, allez, allez dépêchons!
Ainsi s'égosillait Saint-Aignan. Que pouvait-il faire d'autre? La troupe de l'hôtel de Bourgogne avait déjà suffisamment de bras pour installer les décors.
Les acteurs, les acteurs, où sont-ils ? En coulisse, ils se changent. Bien, bien. Tant mieux.
Le Roy s'était impatienté et François avait dû faire face à une terrible réalité : Racine avait disparu.
Malheureusement, ses recherches avaient été infructueuses et, un jour d'ennui, Louis lui avait annoncé de but en blanc "comte, débrouillez vous pour que la pièce soit montée d'ici un moi. J'ai assez attendu."
François avait blêmi mais acquiescé. Il avait bien dû prendre une décision... contactant l'hôtel de Bourgogne, leur donnant le manuscrit que Racine lui avait laissé, s'occupant des costumes et des décors, durant toute une semaine, François avait sué.
L'affaire de la Montespan avait quelque peu chamboulé ses plans... mais aujourd'hui, c'était le grand jour.
Après trois semaines de jeu sur les estrades parisiennes, la troupe venait enfin à Fontainebleau, devant le Roy, et cela se lisait sur tous les visages : translucides, brillants de sueur.
Damne! Sera-t-on prêts? On l'espère.
Pour l'instant, le petit théâtre n'était qu'une ruche où toute les abeilles évoluaient dans un brouhaha permanent, posant un arbre, troquant pourpoint contre toge, ajustant perruque, récitant encore et encore...
"Hum, hum"
Saint-Aignan, puis son interlocuteur, puis celui qui l'observait, puis tous, enfin, de fil en aiguille, s'immobilisèrent. Ce n'était pourtant qu'un page.
Mais c'était un page qui annonçait l'arrivée imminente du Roy.
Dans un "iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii" général, tous coururent en coulisse, François pris sa place pour accueillir les invités, on ferma les rideaux, les musiciens cessèrent d'accorder... ouf, la reine mère venait de poser son pied sur le sol du théâtre.
François s'inclina et lui désigna sa place... silence absolu. Ce silence était d'autant plus silencieux dans l'esprit du comte qu'il en fut suivi d'une clameur immense : ce n'était que les conversations des courtisans qui ne stoppèrent point à l'entrée de ce lieu sacré.
Le Roy vint en dernier, il montra des signes de bonnes humeur, mais François ne s'y trompait pas, ce coup d’œil signifiait bien qu'il l'attendait au tournant...
Le rideau se lève, la foule se tait comme une seule bouche se ferme, après tant de discordances des voix.
* *
*
Triomphe absolu.
Vous féliciterez l'auteur! Mais bien sûr... si on le retrouve un jour. Centaines de hourras, aucun haro, des roses sur la scène, des compliments pour le mécène... On s'en fut bien vite en commentant la pièce, qui avait fait verser plusieurs perles des yeux des sensibles, mais tous ignoraient encore comme François était heureux et bouleversé à la fois.
Il avait plu au Roy, celui-ci l'avait dit. C'était son succès...
Mais Racine ? Qui s'en souvenait encore?
Les acteurs partirent fêter leur consécration dans quelques auberge, bientôt il ne resta que Saint-Aignan au théâtre.
Le comte restait assis à contempler l'estrade vide.