Adrien, sans la présence de Jeanne, n'avait rien en vérité a faire chez Cabellion.
Aussi, malgré les risques, malgré la fatigue, s'était-il décidé a parcourir la ville a la recherche d'on ne sait quoi, peut-être simplement pour tuer le temps...
Dissimulé sous sa cape crasseuse et déchirée sur la couture du bas, il s'était tout de même muni d'un chapeau discret qui le faisait ressembler a un bandit de grands chemins, a un voyageur fatigué, a un traine-patin quelconque, mais, en vérité, a tout sauf a un aristocrate de Fontainebleau.
Dans les rues puantes même en plein jour, surtout en plein jour, il passait inaperçu parmis mendiants et bohémiens... Il tournait sans cesse la tête de droite et de gauche, effrayé sans vraiment l'être... se sentant peut-être un peu coupable de n'être pas vraiment mutilé ou lepreux comme l'homme allongé là par terre, une jambe en moins, qui empestait autant que s'il faisait parti de la boue qui l'entourait. Coupable... oui, ou non, peut-être pas. Peut-être que dans cette nouvelle peau de fugitif il avait peur pour lui, bien plus que pitié pour les autres, il ne voulait pas devenir aussi osseux que le vieillard qui s'avançait en claudiquant, il ne voulait pas perdre ces bras forts et ces doigts fins qui avaient fait le peu de réputation qu'il avait au chateau, au profit de mains aussi noueuses que distordues...
Enfin, libéré d'un poids, il parvint a la place publique, un peu mieux fréquentée... la lumiere, non plus stoppée par les hauts murs bancals des maisons Parisiennes, remplissait a présent l'atmosphere, accompagnée de sa douce chaleur.... Adrien sentit son coeur ralentir et sa respiration redevenir normale, et souleva un instant son couvre-chef pour essuyer d'un revers de bras la sueur qui perlait de son front.
Une jeune femme était assise-là, sur la fontaine, se souciant pas plus des regards qu'elle pleurait et devait avoir la vue brouillée.
Le comte soupira alors, s'adossant a un mur noir de crasse, il soupira en repensant aux mendiants et gitans, a cette jeune fille sale et triste a une dizaine de metres de lui. Et puis, il pensa a lui. A lui, l'égoïste, il pensa a son propre avenir. Qu'allait-il faire ? Pouvait-il continuer de vivre aux frais de la princesse ? Mais de quelle princesse ? Sans pere, sans femme, sans Roy, sans terre, sans ami, a qui pouvait-il encore réclamer ses frais pour vivre ?
Trop fier pour pleurer, il n'en aurait pourtant pas éprouver le moindre déplaisir a cet instant. A cet instant, oubliant qui il était jusqu'au plus profond de lui-même, car il n'était plus rien, il se sentait noyer ses propres larmes dans celle de la jeune fille en face. Il se sentait désemparé, fini. Etait-ce se que l'on ressentait lorsque l'on était fils du peuple ?
Alors, un homme ivre passa pres de lui, clamant haut et fort :
"Il nous prend not' pain et not' sel -hips- et pour quoi ? Pour se construire un chateau doré sur le terrain de chasse de son pere !"
Il s'approcha alors, titubant, de Chastignac qui le regardait d'un air qu'il avait naturellement retrouvé hautain. Il empestait l'alcool et la crasse, mais, trop ivre ou trop habitué pour s'en apercevoir, il aggrippa Chastignac par le col en le secouant de toutes ses forces. C'est a dire, tres peu. Adrien, d'abord surpris, le repoussa gentiment, le nez retroussé, lui-même un peu faible pour se permettre de lui en coller une.
"HEIN ! Pourquoé !? Pour le plus beau des chateaux qu'on n'verra jamais !!"
Il lacha alors Chastignac et parti d'un grand rire, bouteille en main. Et alors que le comte croyait en être débarassé, l'autre se retourna vivement et se pencha en avant, tordu de rire :
"Mais il paré qu'c'est l'prix pour qu'il soigne les écrouelles ! t'é !! Qu'il aille se faire foutre c'te bon Roy, VIVE CONDE, VIVE LA FRONDE !"
Là, il était allé trop loin, en criant de plus. La garde a trois patés de maisons se prit a coeur joie de venir l'arretter et le battre en pleine rue sous les yeux indifférents de Chastignac.
Il n'avait pas bougé. Adossé contre le mur, toujours, réfléchissant a ses mots qui l'avaient frappés malgré tout. Certes, il n'avait rien contre le Roy, et même ces scenes d'horreurs ponctuées de gémissements de douleurs ne le ferait pas haïr l'homme qu'il ne connaissait pas, qu'il avait toujours appris a aimer, a respecter, a obéir.
Mais... ces mots...
Oui, Adrien était orgueilleux, et n'oubliait ni d'Eperneau ni Louvois, et si un moyen de les défier éxistait, il était preneur.
Aussitot, prenant un fin couteau qu'il portait toujours sur lui, une fois la garde et le gueux partit, il grava ces mots sur le mur :
"Si d'une main le soleil soigne les écrouelles,
C'est pour raper de l'autre le cul de nos écuelles,
Il lui faut, pour édifier son palais, augmenter la gabelle,
Il nous faut, pour ne pas crever, s'assoir sur notre sel
Castelguard"
Il avait signer du nom de son pere, et souriait, satisfait de son oeuvre. S'il execrait les poete, le pamphleteur n'en était pas un ! Et puis, pouvait-on vraiment qualifier ce brouillon de poeme ?
Il avait signé du nom de son pere, esperant peut-être qu'on viendrait arreter cet homme, ou alors souhaitait-il secretement qu'on fasse la connection avec lui ? On saurait qu'il est toujours vivant, tant mieux.
Petit a petit, il se ferait une réputation, mais pour cela il devrait renouveler ses actions sur les murs de Paris. Soit, il prendrait le risque. Bientot un imprimeur clandestin ou courageux prendrait le risque de recopier ses pamphlet, le payant a leur justes valeurs... Alors peut-être gagnerait-il sa vie tout en humiliant ses bourreaux. Bientot, il pourrait viser la cour et non le Roy, bientot il pourrait écrire sur D'Eperneau le descendant de mignons, sur Louvois l'ambitieux.
Chastignac avait des rêves et des illusions plein la tête, une flamme de joie tant de vengeance dans les yeux.
Mais avant !
Avant, il disparu de la place dans une auberge, en ressortit, alléger de quelques piecettes, et un parchemin et un fusain en main.
Il déposa le parchemin sur le mur et gratta le fusain dessus, faisant apparaitre, comme par magie, le pamphlet qu'il serait incapable de réecrire si on le lui demandait.
Adrien n'avait aucun esprit poétique, il avait imaginé ce petit bout de texte en écoutant l'ivrogne. Il savait, mais s'en inquiétait peu, heureux de ce nouvel espoir fou, qu'il serait difficile de trouver soi-même l'inspiration...
Il s'écarta du mur en rangeant le parchemin roulé sous sa cape et, guilleret, passa devant la demoiselle, et, retrouvant d'un coup les manieres de gentilhomme, salua d'un coup de chapeau la demoiselle en pleur... avant de disparaitre derriere d'autres dédales de rues.